Spiel - - Emmanuelle Huynh - Plateforme Mua

 

 

Spiel, 2011

Culturellement, ils semblent loin l’un de l’autre. Elle vient d’une culture occidentale de la danse contemporaine qui reste une danse de mouvements majoritairement écrits ; lui, de l’histoire du butô, cette modernisation chorégraphique dans les années 60 des formes traditionnelles du théâtre que sont le nô et le kabuki, fondée sur l’improvisation et la métamorphose.

« Quand j’ai vu danser Akira Kasai pour la première fois à Angers en avril 2009 dans sa Révolution des Pollens, j’ai été frappée autant par sa transformation d’onagata (rôle de femme dans le théâtre traditionnel japonais, no ou kabuki, habituellement interprété par un homme) en diable électrisé par une musique techno que par sa façon « d’accrocher » son regard dans le public. Comme si son intensité était alimentée par sa prise au et du public. Je me demande à quoi cet homme raccroche son imagination pour danser tel qu’il le fait. Dans la conversation publique qui a suivi, il a défini le butoh comme une danse du présent du danseur dans sa relation au public.

Patrick de Vos, qui traduit nos échanges et nous a fait nous rencontrer en 2007 à Tokyo, me remet la captation de quatre soirées d’improvisations datant de 2006. Chaque soir, Kasai improvise avec le pianiste Takahashi Yuji qui interprète L’Art de la fugue de Bach. Cette fois, c’est sa façon d’entrer sur le plateau qui me fascine, puis littéralement de passer des seuils, ainsi que la vitesse de ses passages qui sont de véritables voltes. À nouveau, je me demande ce qui fait levier pour lui, ce qui le met en mouvement.

Je lui propose alors de visionner ensemble une improvisation et qu’il la commente le plus précisément possible, tel un commentateur sportif : comment est il entré dans la salle, qu’a- t-il fait, pourquoi, à quoi a-t-il pensé, qu’a-t-il vu….Ses réponses sont très précises. L’homme est articulé et relie la danse à la langue dans laquelle on est élevé. Il a vécu au Japon et une petite dizaine d’années en Allemagne. En l’absence d’interprète, nous nous parlons d’ailleurs en allemand. Il précise aussi que son corps est un projet. En danse, il y a deux projets, le projet chorégraphique et le projet corps. Son projet corps est motivé par le fait qu’il manque toujours quelque chose, qu’il court éperdument devant pour l’attraper…
Sa danse est peut-être ce qu’il y a de plus éloigné de moi : vitesse, gracilité, légèreté. Une version masculine, japonaise et butoh de la ballerine. Une Giselle qui aurait une hache dans le dos et fendrait l’espace pour toujours en inventer de nouveaux dans l’instant.

J’ai eu envie de proposer à Kasai des jeux qui nous permettent, de nous comprendre par le geste, de nous mener dans nos maisons respectives, de nous les faire visiter, de passer des seuils ensemble. Nous utilisons pour cela le jeu enfantin de l’imitation, du playback pour tenter d’entrer dans la peau de l’autre. En ce sens, ce projet est un projet de transsubstantiation (échange ou transfert de substances !) ou plus simplement de la science-fiction sans effet spéciaux (quoique !). Tels les agents de la série américaine, « Mission Impossible », nous revêtons le « masque » de l’autre, nous entrons dans ses gestes pour connaître ses chemins, ses destinations, ses territoires. C’est aussi un jeu de prises mutuelles.
Ce travail de playback (découvert auprès de l’improvisatrice américaine Lisa Nelson en 1998 et pratiqué et déformé depuis dans mon propre travail) permet de nous informer de ce que nous avons vu de l’autre, retenu. Ce zoom renseigne à la fois sur le geste original mais aussi sur la copie elle-même et son auteur. L’écart qui existe entre l’original et la copie, n’est pas du coté de la perte mais du coté du point de vue, du choix, de l’interprétation. Nous conversons à travers cet écart.
Nous utiliserons des accessoires, vêtements et accessoires assignés à la femme, à l’homme pour faire jouer le curseur du même, du différent et du genre aussi. J’envisage aussi que la musique entre en jeu.

Comme Shinbaï, le Vol de l’âme mettait en scène la rencontre entre l’Ikebana et la danse contemporaine, cette joute joyeuse circonscrit une aire de jeu aux deux danseurs que nous sommes, pour y confronter ce qui nous constitue, devant un public pour lesquelles les règles sont immédiatement partagées. »

le 6 décembre 2010

photos © Marc Domage

Distribution / Crédits


Chorégraphie et interprétation Emmanuelle Huynh et Akira Kasai
Sonographe et assistant Matthieu Doze
Lumières Augustin Sauldubois
Traduction des échanges de travail jusqu'en février 2012 Mariko Hara, puis Yuko Mitani
Accompagnement du projet Judith Cahen

Une première étape de travail a été présentée sous la forme d’un atelier de création dans le cadre du festival Extra en mai 2011 à Bonlieu - scène nationale d’Annecy.
Une seconde a eu lieu en octobre 2011 à Tokyo suivie de quatre présentations publiques.

Production Compagnie Múa , coproduction Centre national de danse contemporaine Angers, Bonlieu - scène nationale d'Annecy. Avec le soutien de All Nippon Airways

Durée : 55 minutes